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GONZAGUE SAINT BRIS

Chaque peintre croit avoir trouvé le secret de Venise. L'anglais Whistler jette " C'est après la pluie qu'il faut voir Venise". Se croit-il à Londres?

L'artiste qui dans la cité des rêves retrouve toujours la somptuosité de son état croit dicter ses lois aux flots, aux cieux et à la lumière. Wagner y voit un opéra, Thomas Mann un roman, Musset un poème et Lucchino Visconti une unique fenêtre. Chacun à Venise est souverain de son inspiration , prince unique. Même les passantes y viennent par amour, d'autres pour cultiver le désespoir. La rencontre brutale côtoie la mélancolie lointaine.

Vincent Roux sait que le vingt et unième siècle s'avance vers nous à toute vitesse et il refuse le fracas du pare-brise esthétique. Aussi capte-t-il dans un monde qui s'effraie les rayons éternels de la Venise immobile: Venise sous la neige, Venise orientaliste, Venise en gris, Venise en carnaval. Il démasque les mythes et montre un amour domestique de la cite de la douceur. En peintre flottant comme en habitant migrateur, il décèle dans ses résidences successives - le Palais Foscari, la Villa Malcontenta, la Villa Caldogno ou le petit palais Gritti- des angles ronds pour regarder la ruelle ou la lagune, les ponts et les sourires.

Dans un monde fatigué de ses haines et de ses luttes, Venise devient cette métropole de paix qui surgit, nimbée parmi nos rêves; un appel ultime à la beauté, à la fraternité, à l'espèrance de l'harmonie des êtres, un chant à toute résurrection. Et aujourd'hui, notre peintre voit la cité en jaune et bleu. Un jaune à la Turner, un bleu tendre digne de Proust. Quant on croit que le monde coule, que Venise s'engloutit, Vincent Roux réagit en utilisant le liège pour support à ses pastels.

Ainsi la matière légère fait-elle sa victoire au dessus de la mer comme le Bucentaure célébrait ses noces avec les vagues. Je rêve d'une autre exposition encore : les tableaux de Vincent Roux flottant dans le Grand Canal, la toile face aux nuages attentifs, comme pour saluer la naissance d'un nouveau monde de beauté. Ce n'est pas impossible. D'ailleurs, qui aurait pensé autrefois qu'un jour Antonelllo de Messine, les deux Guardi, Tiepolo et Canaletto seraient venus rechercher un peu de leurs azurs à Saint-Tropez ?

Gonzague Saint Bris, Juin 1981

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